Vers un Internet russe ?
Alors que la Russie est de plus en plus incontournable sur la scène internationale, Cassini s’est intéressé à l’Internet russe. Cette étude cartographique, composée de trois cartes, a été réalisée conjointement avec Florian Carrelet, diplômé de l’Institut Français de Géopolitique, travaillant sur les questions de cyber-stratégie.
La Russie et la crainte d’un Internet sous domination occidentale
Les 23 et 24 avril 2014 s’est tenue à São Paulo la conférence NetMundial, en présence de 900 participants, dont 111 pays, avec l’objectif de poser un cadre législatif mondial pour encadrer Internet. À cette occasion, le principe de multistakeholderism, une gouvernance d’Internet donnant la parole aux gouvernements mais également à la société civile et au secteur privé, s’est imposé. Autre élément important : le communiqué final de la conférence n’a pas explicitement condamné la surveillance de masse ni défendu la neutralité du Net. Pour Moscou, la gouvernance multi-acteur et l’absence de condamnation explicite de l’espionnage de masse de la quasi-totalité des pays de l’OCDE renforcent la position dominante américaine dans le cyber-espace. Washington dispose en effet d’une influence considérable dans le domaine des normes, des infrastructures (concentration des data centers), du matériel informatique, et des services (via les géants du Net comme Google ou Facebook). En outre, des alliances avec des États alliés lui permet d’accroître ses moyens de cyber-surveillance, comme l’accord UKUSA, un réseau d’espionnage qui lie les pays anglo-saxons dans le cyber-renseignement. Pour l’ensemble de ces raisons, Moscou, dont les capacités dans le domaine de l’Internet sont bien moindres, conteste les conclusions de la conférence NetMundial.
Moscou et la Sibérie, centres d’un Internet russe en mutation
Jusqu’à la chute de l’URSS, le secteur de l’informatique fait l’objet d’un contrôle drastique et d’une paranoïa de la part des autorités. La période du capitalisme sauvage qui s’ensuit voit bien des dynamiques publiques et privées se mettre en place, mais elles ne porteront leurs fruits qu’au début des années 2000. Ainsi, en 1999, 1% de la population russe utilise Internet contre 35,8% aux États-Unis. Ce n’est qu’avec l’ancrage du capitalisme au sein de la société russe qu’Internet s’est démocratisé car les intérêts économiques liés au commerce international, concentrés à Moscou, nécessitaient l’utilisation d’un réseau de télécommunication performant. Aujourd’hui, le pays comble son retard en matière de connectivité Internet, et tente de gommer les disparités territoriales. À l’ouest, où se concentrent les populations et les centres de pouvoir, le réseau est performant et d’importants investissements sont réalisés dans la construction de data center pour stocker et protéger les données des citoyens et de l’administration russe. Tandis qu’à l’est, en Sibérie notamment, des antennes satellitaires sont installées pour étendre le réseau et ouvrir de nouvelles perspectives avec les pays voisins.
L’Internet russe : l’émergence d’une puissance régionale
Depuis quelques années, le gouvernement russe est en train d’établir un cadre législatif favorable et, par l’intermédiaire de Rostelecom, la compagnie nationale des télécommunications, un monopole économique sur la totalité des infrastructures qui servent au fonctionnement d’Internet en Russie. En parallèle, Moscou met ses infrastructures Internet à disposition des pays alentours (Mongolie, Kazakhstan, Ukraine, Biélorussie, etc.), dans le but d’affirmer son influence régionale. Dans le même temps, par l’intermédiaire d’autres sociétés sous contrôle gouvernemental comme VKontakte (l’équivalent russe de Facebook), Yandex (l’équivalent russe de Google), Elbrus et Baïkal (fournisseurs de matériels informatiques), Moscou organise un véritable écosystème de l’Internet russe qui se pose en concurrent des géants américains. Ainsi, faute de s’imposer dans le cyberespace mondial, le Kremlin tente de reprendre le contrôle de l’Internet et des flux de données à une échelle nationale (la Russie) et régionale (Asie, Europe de l’est).